Gagner le Respect…

Francis A. Konan
5 min readJul 27, 2020

En 1990, le Président Jacques Chirac déclarait que l’Afrique n’était pas mûre pour le multipartisme. Le fait est que depuis lors hélas, trop de pays africains se sont évertués à inspirer de telles observations, tout particulièrement en Afrique de l’Ouest où près de 30 coups de force ou tentatives de coups de force ont été perpétrés depuis 1990, contre 14 sur le reste du continent. Mais avec ou sans turbulences, on dénombre si peu d’alternances pacifiques, si peu de consultations transparentes. La rareté de la respiration démocratique prive les populations de perspectives et de moyens d’expression. Elle les rend étrangères au pouvoir censé les représenter. Elle les rend inaudibles dans un monde qui ne les connaît pas. Elle les noie dans la propagande de régimes tentaculaires.

Mais au-delà des conséquences dramatiques que subissent les populations des pays africains, et des conséquences pour le monde de leur manque d’espoir, on est frappé par l’infantilisme dans lequel le monde entier tient l’Afrique, et qui transpire dans le moindre papier consacré à un pays du continent comme il transpirait dans le mot du Président Chirac en dépit de la justesse de son propos.

Pour l’essentiel, cette vision empreinte de condescendance tient à l’incapacité trop fréquente dans les pays d’Afrique à instaurer un État de droit ou un système de gouvernance original émanant de traditions culturelles propres et capable de transcender une légitimité authentique.

Dans un discours retentissant prononcé le 11 Juillet 2009 au Ghana, le Président Américain Barack Obama disait ceci :

« En ce XXIe siècle, des institutions capables, fiables et transparentes sont la clé du succès — des Parlements puissants et des forces de police honnêtes ; des juges et des journalistes indépendants ; un secteur privé et une société civile florissants, ainsi qu’une presse indépendante. Tels sont les éléments qui donnent vie à la démocratie, parce que c’est ce qui compte dans la vie quotidienne des gens… l’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions. »

Cette si prégnante dichotomie hommes forts / institutions fortes, et plus encore l’acharnement des premiers à contrarier l’accouchement des secondes, voilà la terrible geôle que doivent démolir les peuples.

En s’adressant encore aux peuples d’Afrique le 28 Juillet 2015 au siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, Barack Obama ajoutait

« Quand un leader essaie de changer les règles en cours de jeu juste pour rester au pouvoir, il risque l’instabilité et la violence … vous l’entendrez dire “Je suis le seul qui peut empêcher la nation d’exploser”. Si cela est vrai, alors ce leader a échoué à construire son pays. »

En effet, lorsqu’un Président Français ou Américain est à la fin de son second mandat, il ne vient à l’esprit d’aucun journaliste de lui demander s’il compte en briguer un 3e, ou s’il daignera se retirer. Nul ne se demande si l’homme est indispensable, si son départ précipiterait le ciel sur les têtes ni s’il détient la puissante caution d’un pays tiers. L’on ne conçoit nul prétexte (décès du candidat souhaité, volonté des militants, détermination à maintenir le pouvoir dans un clan…) devant lequel la loi devrait s’effacer. Nulle pétition atteignant ce nombre fatidique qui automatiquement rendrait la constitution caduque. Nul défilé de personnalités prosternées et plus moins contraintes, réclamant à cor et à cri la perpétuité de leur condition. Pas une de ces mille simagrées qui tuent dans l’œuf les démocraties.

C’est l’existence même de telles considérations et de tels débats en Afrique qui illustre le peu de respect que le continent inspire par sa propre faute. C’est la possibilité pour le dirigeant de se placer au-dessus de la loi qui caractérise le mieux les républiques dites bananières qui suscitent tant de moqueries. L’Afrique se doit de gagner enfin le respect et ne pourra le faire qu’en imposant ses lois à ses citoyens comme à ses dirigeants.

Le 47e Sommet des chefs d’état de la CEDEAO, (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest), se tenait à Accra en 2015 avec la participation de 10 chefs d’États dont celui de la Côte d’Ivoire. Au cours de ce sommet, le Protocole sur la bonne gouvernance, qui exige que tous les états membres harmonisent leur législation afin de prévoir un maximum de deux mandats présidentiels, a été approuvé par tous les dirigeants sauf ceux du Togo et de la Gambie.

Le 31 Décembre 2019, le Président Ivoirien écrivait sur Twitter : « Il nous fallait rétablir les institutions et les renforcer pour qu’elles accompagnent l’action de l’État. Nous l’avons fait ».

Comment aurait-il pu renforcer les institutions sans se soumettre à la constitution ? En reniant des accords signés pour engager ces institutions ?

En entretenant le doute sur sa participation à la présidentielle prévue en 2020, il affaiblissait de facto les institutions. En motivant le 5 Mars 2020 sa décision de ne pas se présenter par son bon vouloir et non par le respect de la constitution, il créait la possibilité de l’incertitude que connaît la Côte d’Ivoire actuellement à la suite de la douloureuse et infortunée perte de son Premier Ministre.

Les institutions ne seront fortes que par la sagesse d’un chef d’État qui acceptera de se soumettre aux lois, et non par un quelconque effet d’annonce. La reconnaissance de la suprématie de la loi sur le citoyen, et sur la volonté de celui qui détient le pouvoir est l’essence même de l’État de droit, son fondement le plus absolu.

Chez Aristote déjà, le pouvoir vient d’en bas et est exercé au nom de tous. Dans cette vision assez moderne, le pouvoir s’autocontrôle, où la gouvernance est respectée. Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat Social établit que « le pouvoir souverain, tout absolu, tout sacré, tout inviolable qu’il est, ne passe ni ne peut passer les bornes des conventions générales »

L’enjeu de la gouvernance est le défi fondamental face aux peuples d’Afrique. Il est intrinsèquement lié à la légitimité des pouvoirs en place. L’Afrique n’a d’autre choix que de définir les lois sous lesquelles elle veut vivre et de les imposer également aux dirigeants qu’elle se choisit. Alors, elle n’aura plus à lire à travers des articles de journalistes parfois à la solde de dirigeants déifiés les méandres hasardeux du destin que l’on trace pour elle…

Francis Alain Konan

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